PABLO BRAS



PABLO BRAS




La fin des projets et le début des situations.


Il y a au moins deux manières d’aller vers l’inconnu. La première est de tracer une ligne vers le lointain en espérant que la direction soit la bonne et y trouver ce que l’on cherche. Une autre est de ricocher sur les évènements tels qu’ils nous parviennent et, en les observant puis en les comprenant, d’évoluer. À ces deux manières d’agir, on peut attribuer deux lectures distinctes du temps : le futur et les avenirs (à-venir) [ 1. ]. Le futur est dessiné à la lumière de notre condition présente, mais il n’entretient pas de lien réel avec celle- ci. Il est décrété souhaitable ou non et représente un objectif vers lequel tendre ou non. Le processus à l’issue duquel on espère aboutir à l’état du monde qu’est le futur est le projet [ 2. ]. Le projet est, de fait, conduit par les intentions, les finalités ou les croyances des ‘auteurs’ du futur vers lequel il tend. Il repose sur un ensemble forcément subjectif d’anticipations et de spéculations. À chaque instant qui le sépare de son accomplissement, un projet court le risque de créer des dommages collatéraux qui rendent son futur obsolète avant même que nous ayons eu la chance de nous en approcher.

La modernité, par exemple, a cru dans une forme générique de création et de production - l’industrie occidentale - comme condition d’accès au progrès pour le plus grand nombre. Mais le caractère générique de ce projet est justement ce qui destitue aujourd’hui une grande partie de l’humanité.

La différence entre futurs et avenirs ne se réduit pas à deux attitudes face au temps, mais appelle également à un certain mode d’influence sur le cours des choses. Un futur est de préférence englobant, complet et peut dans cette apparence servir de pièce à conviction pour des ensembles de dispositions matérielles, de décisions politiques, de changements d’opinions etc. Les futurs ont besoin de supports pour s’exprimer. Or plus ils s’expriment sur des échéances larges et des zones étendues, plus ils ont recours au pictural ou à la mise en récit : à des formes. Il faut donc observer que plus notre futur tente de voir large, plus nous sommes forcés de prendre du recul par rapport à l’observation rigoureuse du présent, des processus qui meuvent notre monde et dont, pourtant, nous dépendons.

Nous prenons les choses de haut et nous perdons peu à peu la reconnaissance des spécificités, des relations uniques, nous concédons de petites « infidélités au réel » [ 3. ]. En un mot, le futur est une image dans laquelle nous tentons de contraindre le réel, l’avenir part de ce que le réel a à nous offrir maintenant. L’un est rassurant, l’autre est une improvisation constante. Entre ces deux postures, nous n’avons sans doute pas encore trouvé la bonne manière de naviguer dans les temps.

Mais au vue du présent troublé que nous traversons, il semblerait qu’il nous faille renoncer pour un moment aux projets, pour opérer des interventions plus prudentes et attentives à ce qui est à l’œuvre autour de nous. À cette fin, la pensée de l’anthropologue Anna Tsing peut s’avérer inspirante. Dans Le champignon de la fin du monde [ 4. ], elle pointe les effets néfastes de la surconsommation et des nombreux excès du capitalisme, mais nous invite cependant à y prendre appui, à apprendre à en habiter les ruines. Là, les designers ne dessineraient plus des objets ou produits clos censés solutionner un problème de manière générique. Mais, partant d’une attention exigeante à l’existant, seraient des révélateurs de potentiels. Ils ne dessineraient plus que ce qu’il manque entre le service qu’ils tentent de rendre et ce qui est déjà là, disponible. En privilégiant la mise en relation à la production, ils mettraient en place des conditions, ils organiseraient des situations.


[ 1. ] Cette distinction est notamment proposée dans | Questa distinzione è proposta in particolare in | This distinction is notably proposed in |
Négocier les futurs, N°50 de la revue Azimuts, Saint-Etienne, 2019.

[ 2. ] Le projet étant défini par Jean-Pierre Boutinet comme la caractérisation du temps à venir par les outils techniques de la modernité dans son | Un progetto è la caratterizzazione del tempo che si ottiene attraverso gli strumenti tecnici della modernità, secondo la definizione di Jean-Pierre Boutinet nella sua | The project being defined by Jean-Pierre Boutinet as the characterization of the coming time by the technical tools of modernity in its | Anthropologie du projet (cf. biblio).

[ 3. ] Houdart, Sophie. Des multiples manières d’être réel. Les représentations en perspective dans le projet d’architecture | Many ways to be real. Representations in perspective in the architectural project | Molti modi per essere reali. Rappresentazioni in prospettiva nel progetto architettonico |Terrain. Anthropologie & sciences humaines, n°46 mars 2006.

[ 4. ] Tsing, Anna Lowenhaupt. Le champignon de la fin du monde : Sur la possibilité de vie dans les ruines du capitalisme. | The mushroom of the end of the world: On the possibility of life in the ruins of capitalism | Il fungo della fine del mondo: Sulla possibilità di vita tra le rovine del capitalismo. (cf. biblio).





Ouverture de la section française
à la 23 ème Triennale de Design, 2023 .






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